22 juin 2011

Foi et Raison, deux réalité qui s'ignorent ?

Voici aujourd'hui la réponse à une réaction apportée à l’article du 3 juin dernier et que je publie sous forme d’un nouvel article. 
«J'ai lu votre article avec beaucoup d’intérêt. Je n'ai pas les compétences philosophiques et théologiques permettant de discuter de ce passionnant sujet, entre la vérité catholique révélée et la vérité catholique raisonnée, deux principes, qui sont à mon avis très complémentaires.






Cependant, une question et un commentaire. Ma question: est-ce que la révélation précède toujours la raison ? Si alors la raison aurait toujours besoin de la révélation, cette dernière doit-elle obligatoirement être interprétée par la raison ? Plus clairement, raison et révélation sont-elles dissociables ou doivent se joindre pour édicter une vérité ?

Ma remarque concernera simplement le constat que Dieu nous révèle toujours les choses avec une diversité extraordinaire de biais, et avec une simplicité où l'on reconnait bien le Dieu qui sait se faire tout petit, malgré sa Grandeur. 
Ainsi, Pie IX s'est décidé à proclamer le dogme de l'Immaculée Conception (1854) après avoir consulté un jeune garçon de 12 ans.»

Tout d’abord, merci d’avoir pris le temps d’offrir une réaction à ce Blog. Aussi, je tiens à m’excuser pour le délai de ma réponse, quelques soucis informatiques m’ont empêché de vous répondre plus tôt. 
Votre question semble toucher un des points tout à fait essentiels du rapport entre foi et raison. Permettez-moi de revenir sur quelques termes utilisés dans votre question. 

«Ma question: est-ce que la révélation précède toujours la raison ?»

Pour tenter de vous répondre, je m'interrogerai en premier lieu sur l’utilisation  du verbe «précéder». Evoquer une préséance de la révélation sur la raison semblerait suggérer à mon sens un rapport d’antériorité, qui serait soit, temporel - qui suggérerait qu’il convient d’attendre que Dieu parle pour raisonner ? - soit, qualitatif - du point de vue raisonnable, rien ne serait vraiment certain, à moins que la révélation de Dieu fût connue -. Rappelons que nous évoquons ici deux notions dont l’une est une autocommunication de Dieu envers l’homme, la Révélation - sa totale, entière et libre manifestation dans l’histoire - afin de l’élever à l’accomplissement le plus plénier et l’autre une simple faculté humaine, la raison mais qui est sans doute l’une des plus hautes et assurément l’une de celles qui donnent le plus à percevoir la nature du projet que Dieu au sujet de l’homme. Nous sommes donc en présence de deux notions appartenants toutes deux à deux ordres bien différents, l’une de l’ordre du divin et l’autre de l’humain - pourrai-on dire -. Cependant, il demeure difficile de penser que Dieu en s’autorévélant n’exploite pas le singulière capacité qu’à l’homme et que nous appelons raison, surtout si celle-ci par elle-même manifeste au genre humain sa très grande dignité. je n’utiliserait donc peut-être pas la notion de préséance mais au sujet de la raison, je parlerais d’une réalité conférée par Dieu à l’homme afin de rendre ce dernier à même de communiquer avec lui. 
«cette dernière doit-elle obligatoirement être interprétée par la raison ?»
Le contenu de la révélation est assurément accessible à la raison mais on doit ajouter aussitôt que rien de ce que Dieu a révélé n’est proprement inaccessible à l’homme non parce que Dieu serait en lui-même purement et immédiatement intelligible à l’homme mais parce que la raison n’est pas la seule voie de perception qui lui est conférée. Vatican I a ainsi pu indiqué que la raison représentait un mode de connaissance assuré de la révélation divine mais a voulu faire aussi comprendre qu’elle n’était pas non plus le seul canal par lequel Dieu pouvait se donner à connaitre. Aujourd’hui, il est très fréquent de parler d’expérience de Dieu ; ce qui suggère que Dieu s’est donné et se donne à ce point que l’homme doit livrer la totalité de sa personne pour permettre en lui une réponse à Dieu.  - Par son intellect mais encore par son jugement, ses sens et aussi sa sensibilité, son corps, par tout ce qui le caractérise et tout ce dont il est capable, il entreprend un périple vers Dieu. - 




Pour tenter qualifier le rôle joué par la raison dans cette expérience, nous pourrions dire que la compréhension du Dieu révélé en Jésus-Christ que la raison offre permet une perception objective de ce vers quoi, subjectivement - ie : comme sujet -., il faut tendre  De façon un peu ramassée, on pourrait dire que, celui qui accepte de livrer l’assentiment de son intelligence mais aussi de tout son être à la révélation témoigne d’une interprétation de la révélation en elle-même. Je songe ici à plusieurs figures de sainteté qui ont pu émergés en plein milieu de cette époque tourmenté que j’ai pu décrire : le savoir théologique très simple d’une Thérèse de Lisieux, la modeste instruction d’une Bernadette Soubirous n’étaient-ils pas autant de signes que ce que Dieu produit en l’homme n’est pas en premier lieu somme de connaissances obtenues après un dur labeur mais bien un véritable renouvellement en vue du témoignage de toute une personne. . 

«raison et révélation sont-elles dissociables ou doivent se joindre pour édicter une vérité ?»











Nous avons donc bien compris que raison et révélation de peuvent être proprement dissociées chez celui qui croit : la révélation, qui ne se limité pas à un contenu de vérités vient orienter toute la personne en communiquant par la raison une voie toute personnelle menant à Dieu.  Mais en outre, nous pourrions ajouter que le contenu de la révélation sert de guide à la raison elle-même. En effet, l’objet même de la révélation c’est le Christ et vouloir rechercher la vérité implique de passer par une rencontre avec lui. Aussi cette rencontre est-elle décisive car rien de ce qui vient de Dieu ne sera véritablement perçu à moins de faire le choix durable et authentique d’une véritable intimité avec Jésus. Voilà donc précisément ce que la raison doit viser : elle doit rechercher par elle-même et en elle-même comment elle peut guider le sujet au Christ, la Vérité. De la sorte, pour le chrétien, la vérité n’est pas seulement un contenu énoncé mais elle est elle-même révélée comme l’énoncé, Dieu fait homme, une personne vers laquelle toute les dimension de la personne doivent converger. La vérité incarnée. 

Concernant votre remarque, je ne peux qu’agréer au fait que Dieu aime à se manifester de manière humble et sobre. La proclamation du dogme de l’immaculée conception par Pie IX en 1854 fut le fruit de la consultation de l’ensemble de évêques mais n’arriva que parce que la possibilité de ce dogme eut été pendant plusieurs siècles - précisément, depuis la fin de l’époque patristique  - l’objet d’une méditation constante et parfois passionnée de la part des chrétiens. La proclamation de ce dogme ne fit en réalité que manifester l’assentiment de toute la chrétienté au fait que, de part sa maternité même, la Vierge Marie devait assurément, dès sa naissance, avoir été exempte de toute propension au péché.  

7 juin 2011

Vatican II, le Retour

«La (...) sainte Église, notre Mère, tient et enseigne que Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine à partir des choses créées, car, depuis la création du monde, ce qu'il y a d'invisible se laisse voir à l'intelligence grâce à ses œuvres. Toutefois, il a plu à sa sagesse et à sa bonté de se révéler lui-même au genre humain ainsi que les décrets éternels de sa volonté par une autre voie, surnaturelle celle-là : Après avoir à maintes reprises et sous maintes formes parlé jadis à nos Pères par les prophètes, Dieu, tout récemment, nous a parlé par le Fils.
   C'est bien grâce à cette révélation divine que tous les hommes doivent de pouvoir, dans la condition présente du genre humain, connaître facilement, avec une ferme certitude et sans aucun mélange d'erreur, ce qui dans les choses divines n'est pas de soi inaccessible à la raison. Ce n'est cependant pas pour cette raison que la révélation doit être dite absolument nécessaire, mais parce que Dieu, dans son infinie bonté, a ordonné l'homme à une fin surnaturelle, à savoir la participation aux biens divins qui dépassent absolument ce que peut saisir l'esprit humain. Car l'œil n'a pas vu, l'oreille n'a pas entendu et n'est pas monté au cœur de l'homme ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment.» - Du Concile Vatican I, Constitution Dogmatique Dei Filius, chap II -.
Cet extrait de la constitution dogmatique Dei Filius, rédigée au moment du premier concile du Vatican fait état de deux voies de connaissance en ce qui concerne les choses divines : la raison d'une part, la révélation d'autre part. 
En lisant ces lignes, nous pouvons songer en premier lieu au contexte de l'époque, qui appelait un arbitrage de l'Eglise au sujet des relations entre foi et raison. Les catholiques de la fin du XIXème pouvaient se trouver personnellement heurtés  par des courants de penses rationalistes revendiquant la suprême autonomie du sujet par rapport à toute autre instance, et aussi divisés intérieurement, sans bien savoir comment accueillir en conscience la foi catholique : un des débats intellectuels de l’époque était de savoir ce que la raison pouvait apporter à la démarche du croyant et d'un autre côté si objectivement, la foi était faite pour vraiment accomplir l'homme. Attaqués de toute part par les courant rationalistes - issus massivement des pensées d'E. Kant, A. Comte et Hegel -, les croyants du XIX siècle  pouvaient être tentés d'évacuer purement et simplement la question : ils pouvaient alors mettre la raison de côté pour ne croire que par obéissance c'est-à-dire en répétant fidèlement, sincèrement ce que le Magistère de l'époque proclamait mais sans vraiment pour autant s’approprier ses enseignements. Ils pouvaient donc être tentés d’être fidéiste c’est-à-dire de faire preuve d’une foi que nous dirions aujourd’hui aveugle concernant les enseignements de l’Eglise ; une sorte de réaction d'autodéfense pour préserver un bien essentiel dans cette période d’hostilité rationaliste.  
Il faut dire que les attaques étaient sévères. E. Kant, dans son projet de refonte de la métaphysique avait défendu l'idée que, décemment, il ne pouvait y avoir d'intuition que sensible ; ce qui reléguait Dieu à une sorte de concept limite dont chacun peut, en soi-même seulement, éprouver la nécessité. Et pour Kant, la religion est véritablement opium dans la mesure où elle indique à l'homme une morale et même, un sens à sa vie qu'il pourrait assurément trouver par lui-même et en lui seul ; elle n'est qu'une perte de temps en somme. Quant à Jésus, dans cette perpective, il est bien l'envoyé de Dieu mais selon qu'il représente l'accomplissement, la perfection de ce que la raison pratique peut par elle-même trouver, il est l'homme moral accompli par excellence. Dans le système de Kant la raison prend donc une place prépondérante, elle se base sur les intuitions des sens pour avec l’entendement établir des règles d'action morale, voilà son seul usage. Pour tenter de résumer brièvement cette vue (!), nous pourrions dire avec des termes plus contemporains que pour Kant, ce qui est extérieur à l’homme, l’altérité vers laquelle il tend et qui doit représenter son but essentiel est le fait de s’édifier en moralité par le biais d’une raison en espérance capable d’établir des règles valables universellement.  
En régime catholique, la morale est certes importante mais elle est un des fruits naturels de la relation personnelle que le croyant entretient avec Dieu, une relation non purement directe comme une sorte d’illumination permanente de l’esprit par l’Esprit mais instituée par un Dieu parlant au croyant de différentes manières selon l’entière connaissance qu’il a de lui, sa créature. D'autre part, pour le chrétien, la raison permet absolument de connaitre Dieu et de plus, cette connaissance atteint sa pleine réalisation à la lumière de la Révélation, comme l'extrait de Dei Filius que nous avons lu plus haut le stipule. De la sorte, en régime chrétien, la savoir possède un sens et une rationalité proprement téléologiques : par nature, il trouve achèvement en Dieu même. Ainsi, l’altérité à laquelle l’homme se trouve naturellement confrontée n’est pas avant tout une somme de règles morales trouvées par l’homme et faites pour l’améliorer mais une altérité divine qui se communique en permanence et qui ne peut ni se comprendre ni s'appréhender hors de ce que Dieu a dit et vécu au moment de présence sur terre dans la personne de son Fils. En somme, ce que l’homme est en droit de percevoir pour diriger son agir et plus encore, pour se comprendre et s’accomplir se trouve dans ce que le Christ lui communique et continue de lui communiquer dans sa seule personne, non des règles forgées par le seul truchement des sens et de l’entendement. Cependant, il nous faut dire que ce dernier argument n’était pas tout à fait accessible aux chrétiens contemporains de Dei Filius. En effet, ce qu’il est de coutume de reprocher à cette constitution dogmatique de Vatican I - concile qui dû être arrêté à cause de la guerre de 1870 - c’est d’avoir trop séparer raison et Révélation, les associant trop facilement à deux voies de connaissance juxtaposées, une voie naturelle, de raison d’une part et une voie surnaturelle, divine d’autre part. En maintenant cette dissociation, il était alors facile pour des penseurs rationalistes et plus particulièrement, des penseurs athées de ne privilégier qu’une seule approche, celle, toute naturelle de la raison

Mais redisons le, Vatican I fut stoppé en cours de route, il fallu donc attendre le second concile du Vatican pour que la Révélation soit proprement présentée comme un lieu d’assentiment de l’intelligence et de la volonté humaine dans lequel l’Esprit de Dieu soutient et vivifie les croyants. On trouve ainsi : « Afin de rendre toujours plus profonde l’intelligence de cette Révélation, l’Esprit Saint ne cesse, par ses dons, de rendre la foi plus parfaite» - Concile Vatican II, Constitution Dogmatique Dei Verbum § 5 -.